Ce qu’il a dit, où et pourquoi ça choque
La phrase a claqué comme un coup de sifflet en tribune: « 11 noirs » chez les Bleus. Invité de la chaîne en ligne TV Libertés, Pierre Ménès a soutenu que le football français serait dominé par des joueurs noirs et nord-africains. Il a décrit un paysage où, selon lui, la diversité se transforme en hégémonie. Sur le plateau, des applaudissements. Hors plateau, un torrent de critiques.
Le décor compte. TV Libertés, média né en 2014, revendique une ligne très à droite du spectre politique. Son fondateur, Martial Bild, vient de l’extrême droite, et son dirigeant actuel, Philippe Milliau, a soutenu Éric Zemmour lors de la dernière présidentielle. En choisissant ce plateau pour parler du foot français, Ménès savait qu’il ne s’adressait pas à un public neutre. Le casting de l’émission éclaire la réception des propos: sur place, on acquiesce; en ligne, on interpelle.
Pour étayer sa thèse, l’ancien chroniqueur a raconté une scène familiale. Son fils Axel, inscrit à Torcy quand il avait 11 ans, aurait quitté l’équipe après trois entraînements. Il aurait été mal accueilli, peu servi, bousculé verbalement, et isolé au vestiaire. Ménès précise que l’équipe était, selon lui, composée uniquement de joueurs d’origine maghrébine et noire. Il concède pourtant que son fils n’avait pas le niveau, « même franchement mauvais », avant d’ajouter: « j’arrête ». L’anecdote, posée comme un point de départ intime, sert chez lui de tremplin vers une généralité.
À partir de là, il élargit: voilà, dit-il, la réalité du football en Île-de-France et au-delà. Il affirme que dans un match de Division d’honneur en région parisienne, on verrait en général un seul joueur blanc, au but ou arrière droit. Ce type d’assertion, péremptoire et sans données, nourrit le conflit. Elle donne l’impression de compter des couleurs plutôt que des passes réussies.
Pourquoi ça crispe autant? Parce que l’équipe de France est un symbole national et que le débat sur l’identité y tourne vite à l’essentialisation. Les Bleus n’ont jamais été une ligne monochrome: ils sont un patchwork d’histoires familiales, de quartiers, d’accents, de centres de formation. Réduire une sélection à une case raciale revient à disqualifier le principe de la performance qui devrait guider toute convocation.
Réactions, faits et enjeux d’un débat qui dépasse le foot
La réaction a été immédiate. Sur les réseaux, le propos a été massivement partagé, critiqué, parfois insulté, parfois soutenu, toujours commenté. Parmi les voix qui comptent, Djibril Cissé, ancien attaquant des Bleus, a tranché: « Très déçu de toi Pierre Ménès », assorti d’émojis vomitifs. Son message dit l’essentiel: pour beaucoup d’anciens joueurs et de supporters, le football rassemble, il ne se segmente pas par la couleur de peau.
Au moment de publier, aucune réaction officielle n’a été rendue publique par les instances du football français. Mais le cadre est connu: la Fédération organise régulièrement des campagnes de sensibilisation contre les discriminations, et le droit français punit l’incitation à la haine et à la discrimination. Le débat ne se joue pas seulement sur l’opinion; il existe un périmètre légal et éthique autour de la parole publique.
Revenons aux faits sportifs. La sélection en équipe de France repose sur le niveau et l’état de forme, pas sur l’origine. Les listes évoluent d’un match à l’autre, d’une blessure à une émergence. Le foot est un entonnoir: des centaines de milliers de licenciés, des milliers d’espoirs, quelques dizaines d’internationaux. Imaginer une logique autre que celle du mérite, c’est accuser sans preuve tout un système d’être biaisé par des catégories raciales.
Sur les terrains amateurs, l’Île-de-France est un immense vivier. C’est un fait: densité urbaine, terrains en nombre, clubs formateurs, compétitions relevées. Beaucoup d’internationaux récents, de toutes origines, y ont grandi. Confondre composition sociologique d’un bassin sportif et critères de sélection, c’est oublier le quotidien des éducateurs: détecter, faire progresser, encadrer, peu importe le nom sur la feuille de match.
Le mot « surreprésentation » mérite d’être décortiqué. Par rapport à quoi? À la population nationale? À la base de licenciés? Aux inscrits en pôles espoirs? Sans repères solides, la notion flotte. On sait que le foot attire massivement dans les zones urbaines populaires. Ce tropisme sportif ne dit rien, en soi, de la couleur de peau, ni des mécanismes discriminatoires. Il parle surtout de goût, d’accès aux infrastructures et d’ascenseur social possible par le sport.
Le choix du plateau n’est pas neutre non plus. TV Libertés s’inscrit dans un écosystème où l’identité et l’immigration sont des thèmes privilégiés. Dans ce cadre, compter les « noirs » chez les Bleus est un geste politique autant qu’un commentaire sportif. Cela déplace le débat du terrain vers une bataille culturelle, où la provocation et la viralité priment sur la nuance.
Sur le fond, la méthode choque beaucoup d’éducateurs: on ne raconte pas le foot par la couleur, mais par les trajectoires. Qui a percé tôt? Qui s’est réinventé après une blessure? Qui s’est accroché en National avant de monter en Ligue 1? Ces histoires-là expliquent mieux une sélection qu’un balayage du regard sur un écran TV pour dresser un inventaire chromatique.
Le récit personnel livré par Ménès à Torcy interroge aussi. Un enfant mal intégré dans un groupe, ça arrive, partout. Parfois le niveau, parfois l’ambiance, parfois un entraînement raté. En faire la preuve d’un système, c’est glisser d’une expérience singulière à une conclusion globale. Le journaliste d’expérience qu’il est sait pourtant la différence entre un fait isolé et une tendance documentée.
Reste la question centrale: à quoi sert ce type de phrase? À poser un diagnostic ou à marquer un camp? Dans l’arène numérique, l’outrance paie. Les vidéos polarisantes circulent plus, créent de l’engagement, installent des réflexes de tribune. Pendant ce temps, les acteurs du foot de base — éducateurs, arbitres, dirigeants — gèrent les vraies urgences: encadrer les jeunes, garder les terrains ouverts, faire respecter les règles.
La trajectoire de Ménès ajoute un relief au moment. Figure médiatique pendant des années, voix qui portait fort sur les plateaux, il s’exprime désormais hors des grandes chaînes. Depuis son départ de Canal+, son nom revient surtout au gré des polémiques. Ce déplacement de scène change la nature de ses interventions: moins de contradiction en face, plus de séquences virales.
Le football français a traversé d’autres tempêtes verbales. À chaque fois, un même risque: qu’on parle plus des divisions supposées que de jeu, de pressing, de transitions, de ce qui se construit dans les centres d’entraînement. Les Bleus, eux, restent évalués sur leurs résultats. Les supporters jugent au tableau d’affichage, pas à un nuancier de peau.
Ce qui suit dépendra des acteurs. Les instances peuvent rappeler le cadre, les clubs et éducateurs continuer à faire leur travail d’intégration par le sport, et les commentateurs choisir la précision plutôt que la charge. Les réseaux, eux, ne ralentiront pas. Mais ils peuvent, parfois, remettre du factuel au milieu du bruit.
Dernier point, souvent oublié: la France du foot n’est pas une photo, c’est un film. Les générations passent, les profils évoluent, les styles de jeu aussi. C’est ce mouvement qui fait la force d’une sélection. À vouloir figer le cadre par la couleur, on finit par rater l’essentiel: ce qui se passe balle au pied.
En attendant, la polémique n’est pas retombée. Les mots circulent encore, la séquence enflamme toujours. Et chacun se positionne. Sur le terrain, l’herbe ne change pas de couleur selon celui qui la foule. Elle ne connaît que des appels, des contrôles et des frappes cadrées.
À retenir, sans filtre:
- Propos tenus sur TV Libertés: « 11 noirs » en équipe de France et dénonciation d’une prétendue surreprésentation.
- Anecdote personnelle à Torcy utilisée pour généraliser à tout le foot francilien.
- Vague d’indignation en ligne; message cinglant de Djibril Cissé.
- Pas de réaction officielle connue des instances au moment de publier; cadre légal et éthique rappelé par de nombreux commentateurs.